Les entreprises ont-elles un devoir ?

Les réseaux sociaux exercent sur nous une influence incroyablement puissante. Mais qui assume la responsabilité des comportements sur ces médias ? 

 

Chaque jour, les Allemands passent 173 minutes sur l'écran de leur téléphone portable ; aux États-Unis, l'utilisation des réseaux sociaux a augmenté de 71 % en 2020. Après seulement quelques "likes", Facebook peut identifier les orientations politiques ou sexuelles des utilisateurs. Tout cela montre à quel point les réseaux sociaux ont intégré notre société et l’impact incroyable qu’ils ont sur les gens à travers le monde.

 

Dès 1953, le terme "responsabilité sociale des entreprises" (RSE) était utilisé pour décrire le "contrat social" entre les entreprises et la société : les consommateurs attendent des entreprises qu'elles agissent de manière responsable, éthique et morale. Près de 70 ans plus tard, quelle est la situation aujourd'hui ? Bien que les réseaux sociaux soient devenus indispensables, ni les particuliers ni les entreprises ne semblent être conscients de la responsabilité qui accompagne leur utilisation ou ne veulent pas y faire face. Dans le même temps, les plateformes elles-mêmes font l'objet de critiques croissantes. La question qui se pose aujourd'hui est donc la suivante : qui assume la responsabilité des comportements sur les réseaux sociaux ? Les entreprises doivent-elles être tenues également pour responsables ? Voici quelques arguments pour et contre :

 

Oui ! Les entreprises ont une obligation.

 

    1. Les entreprises ont la possibilité d'influencer les plateformes

 

La campagne #StopHateforProfit en 2020 a montré que les entreprises ont la possibilité d'adopter une position forte et claire et d'accepter leur responsabilité dans les médias sociaux. La responsabilité signifie avoir une autorité sur quelqu'un ou quelque chose et en même temps accepter une obligation. Les plateformes vivent de leurs recettes publicitaires. De l'argent que les entreprises investissent et qui leur permet d'exercer leur autorité sur les plateformes. Elles doivent utiliser cette autorité pour éviter une situation dans laquelle la responsabilité et donc aussi le pouvoir de décision reviennent à une seule entité - la plateforme.

 

    2. Les entreprises sont responsables de la santé et de la sécurité des utilisateurs

 

En Allemagne, le besoin de protection est inscrit dans la loi : il est interdit aux entreprises d'exploiter l'âge, l'inexpérience commerciale, la crédulité ou la peur des consommateurs. Cela signifie que les enfants et les jeunes sont également tabous. Mais de nombreuses entreprises veulent utiliser les réseaux sociaux pour atteindre précisément cette cible très jeune, ce qui se reflète par exemple dans l'utilisation accrue de la publicité sur TikTok. Même si l'utilisation de ces plateformes n'est officiellement autorisée qu'aux utilisateurs de plus de 13 ans, de nombreux utilisateurs plus jeunes s'y divertissent. 24 % des jeunes de 10 à 11 ans sont sur TikTok, 44 % des jeunes de 12 à 13 ans sont sur Instagram, et parmi les jeunes de 14 à 15 ans, 70 % utilisent déjà Instagram. C'est exactement dans la phase de la vie où se forme leur comportement de consommateur qu’on leur donne en exemple des modes de vie matérialistes via les canaux d'influence. Cela profite aux entreprises, car après tout, la moitié des jeunes de 14 à 19 ans ont déjà commandé en ligne grâce aux influenceurs. C'est précisément la raison pour laquelle les entreprises ont le devoir de prendre des décisions morales plutôt que des décisions purement axées sur le profit. 

 

De même, diverses études montrent un lien entre l'utilisation des réseaux sociaux et l'augmentation des symptômes de dépression. Les plateformes de réseaux sociaux ont le potentiel de créer des dépendances - la "peur de manquer" ("fear of missing out" = FOMO) combinée au frisson de ne pas savoir combien de personnes ont réagi à son message, qui elles sont et comment elles ont réagi. On peut attendre des entreprises qu'elles soient conscientes du côté obscur des réseaux sociaux et qu'elles fassent preuve de responsabilité en conséquence.

 

    3. Les entreprises peuvent réduire les discours haineux par une gestion active des communautés en ligne

 

Fake news, discours de haine, intimidation, trolling - les termes sont nombreux pour désigner le côté obscur des communications sur les réseaux sociaux. Le véritable danger réside dans le fait que les réseaux sociaux sont un moyen de formation de l'opinion. Les utilisateurs affirment que les réactions et les commentaires sous les messages les aident à mieux comprendre les sujets et qu'ils se forgent ou modifient leur opinion sur cette base. Grâce à une gestion active de la communauté et à leur propre vérification des faits dans les commentaires de leur flux, les entreprises peuvent contribuer à réduire le nombre de déclarations fausses et non corrigées circulant sur les réseaux sociaux, et ainsi prendre activement leur responsabilité contre la radicalisation.

 

    4. Les entreprises peuvent tirer profit d'une prise de position crédible

 

Les réseaux sociaux sont un champ de bataille pour les questions politiques et sociales. Les utilisateurs exigent des entreprises qu'elles fassent preuve de fermeté et de crédibilité. Mais pour ce faire, les entreprises doivent apparaître comme authentiques sur les réseaux sociaux. Une position transparente et assumée permet aux entreprises de se différencier de leurs concurrents et de gagner en popularité auprès des utilisateurs.

 

 

Non ! Les entreprises ont avant tout un intérêt économique et les réseaux sociaux sont une plateforme publicitaire. 

 

    1. Dès le départ, la responsabilité du produit incombe à la plateforme

 

Dans le cas de produits classiques, la fiabilité du produit et donc la responsabilité se situe entre le fabricant et le client. Dans le cas des produits en ligne, elle se situe entre la plateforme et ses utilisateurs. Les plateformes fournissent le cadre qui est utilisé et alimenté par les utilisateurs, les entreprises ne devraient donc pas être tenues responsables à cet égard.

 

    2. L'utilisation correcte et saine des réseaux sociaux est une question d'éducation aux médias

 

L'éducation aux médias signifie que les gens peuvent utiliser les réseaux en toute confiance pour leurs propres besoins et sont également capables d'évaluer le contenu de manière critique. L'éducation aux médias est donc la solution au dilemme de la responsabilité des réseaux sociaux. La responsabilité incombe au destinataire du message, et non à l'expéditeur. Il faut donc responsabiliser ceux qui sont chargés d'inculquer l'éducation aux médias - les parents avec leurs enfants, ou encore le système éducatif.

 

    3. Les réseaux sociaux sont une plateforme de marketing

 

Les actionnaires, les employés, les pouvoirs publics, etc. attendent des entreprises qu'elles agissent de manière commerciale afin de garantir les emplois, les investissements et les profits. La publicité pour les produits et les idéaux de beauté irréalistes existaient bien avant l'invention des réseaux sociaux, par exemple dans les magazines et à la télévision. Sur les réseaux sociaux, alors que les publicités et les opérations d'influenceurs sont signalées comme telles et que les expéditeurs peuvent être identifiés rapidement, dans les placements de produits classiques, il est encore plus difficile pour les utilisateurs de reconnaître qu'il s'agit bien de publicité. Pour cette raison, les entreprises qui utilisent les réseaux sociaux ne devraient pas avoir à porter plus de responsabilité que les utilisateurs de tout autre canal médiatique.

 

    4. Les entreprises ne doivent pas restreindre la liberté d'expression

 

Le terme "réseaux sociaux" montre déjà qu'il s'agit de formes de médias partagées dans la société. Le terme "social" fait référence au fait qu'un grand nombre de personnes différentes vivent ensemble de manière organisée. Cette "organisation" est déterminée par les conditions générales des différentes plateformes de réseau social. Elles régissent les directives que les utilisateurs doivent suivre et les limites de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux. C'est pourquoi il n'incombe pas aux entreprises de supprimer les messages des utilisateurs à leur propre discrétion s'ils ne violent pas ces conditions générales.

 

  5. Il incombe aux utilisateurs d'adapter eux-mêmes les paramètres et les fonctions disponibles.

 

Les réseaux sociaux sont centrés sur l'utilisateur et lui donnent donc la possibilité d'aménager le réseau exactement de la manière qui lui convient le mieux. Les fonctions "X-out" permettent de limiter les publicités, de protéger la vie privée à l'aide de paramètres de protection des données, de contrôler le temps d'écran à l'aide de paramètres de notification, et de réduire les discours haineux et les "fake news" en signalant les messages. Il ne s'agit là que d'une petite sélection des possibilités dont disposent les utilisateurs pour assumer la responsabilité des réseaux sociaux et de leur propre utilisation saine de ceux-ci. Il incombe aux utilisateurs de faire usage de ces fonctionnalités. En effet, les besoins des utilisateurs sont très divers : il y a les utilisateurs qui exploitent à leur profit l'extrême personnalisation des publicités afin de gagner du temps dans leurs recherches sur Internet et de découvrir des offres bon marché, et il y a ceux qui utilisent les réseaux sociaux pour rester en contact avec leurs amis et leur famille et qui ne sont pas intéressés par les contenus commerciaux. Les exigences étant très individuelles, il n'est pas de la responsabilité des entreprises de répondre à toutes ces exigences.

 

Cette comparaison montre que la responsabilité doit être partagée. Les plateformes ne peuvent pas le faire sans les utilisateurs, les utilisateurs ne peuvent pas le faire sans les entreprises qui les défendent, et les entreprises ne peuvent pas le faire sans les plateformes et les utilisateurs qui les encouragent à le faire et créent les conditions. Cela signifie que la responsabilité n'incombe pas à un seul individu, mais qu'elle est partagée, et que chacun doit être conscient de la contribution qu'il peut et doit apporter.

 

 

Ce que les entreprises peuvent faire pour faire preuve de plus de responsabilité vis-à-vis des réseaux sociaux dans la vie quotidienne :

 

1.         Les entreprises peuvent se concentrer sur la gestion active de la communauté afin de vérifier non seulement leur propre marque, mais aussi la justesse des déclarations contenues dans leurs posts. Compte tenu de la liberté d'expression, la suppression des messages n'est pas toujours nécessaire, mais rien n'empêche l'auteur de poster une réponse avec une correction. La marque peut invoquer son "règlement intérieur" pour insister sur le respect de ses propres valeurs.

 

2.         Avant de publier leur propre contenu, les entreprises peuvent faire un effort supplémentaire et effectuer un contrôle de conformité pour s'assurer que les faits publiés sont corrects.

 

3.         Lorsqu'elles communiquent auprès de cibles jeunes, les entreprises peuvent éviter d'utiliser des publicités afin de les protéger. Et elles doivent mettre l'accent sur la diversité et le contenu éducatif et non sur le consumérisme pur et les modes de vie matérialistes.

 

4.         Les coopérations entre influenceurs peuvent être réexaminées. Au lieu d'influenceurs à forte audience, les entreprises peuvent faire appel à des ambassadeurs de marque authentiques.

 

5.         Si les entreprises décident de prendre position sur les réseaux sociaux, elles doivent le faire de manière globale et ne pas se contenter de réagir de manière opportuniste à ce que la société juge souhaitable. Des lignes directrices peuvent aider à clarifier la signification des valeurs individuelles et la manière dont elles doivent être reflétées sur les réseaux sociaux. Ainsi, il faut veiller à ce que la prise de position et la responsabilité ne commencent pas avec les réseaux sociaux, mais avec le produit et la marque eux-mêmes. Des "ateliers sur les valeurs" peuvent contribuer à sensibiliser toutes les personnes impliquées à ce qu'une entreprise veut défendre.

 

Lorsqu'il s'agit de prendre position et d'accepter une responsabilité, les gens ont besoin d'une opportunité, d'une motivation et d'une justification personnelle (similaire au "triangle de la fraude", qui concerne la poursuite d'activités illégales ou corrompues). Une opportunité peut être créée, par exemple, par les fournisseurs de plateformes par le biais des conditions générales, des fonctionnalités et des points de contact, ou par les entreprises par le biais des nétiquettes. La motivation peut signifier d’être persuadé de vouloir prendre des responsabilités, mais aussi avoir le savoir-faire et les connaissances pour le faire. Une justification personnelle confirme que la voie que nous avons choisie est la bonne, même si elle peut impliquer quelques sacrifices au départ. Peut-être que cet article peut constituer un début, en offrant aux entreprises à la fois la motivation et la justification personnelle pour mettre en avant la responsabilité de chacun sur les réseaux sociaux.

 

Avertissement : tous les réseaux sociaux ne sont pas identiques. Il existe des différences internationales en termes de censure, de protection des données, de fonctionnalités et de plateformes. Ce rapport reflète une perspective européenne des réseaux sociaux.

 

Auteur : Alexandra Braun, Head of Strategy & Analytics Plan.Net NEO